๐ฌ๐ง - Shandur Polo Festival
Du 07 au 09 juillet, dans le nord du Pakistan, a lieu un รฉvรฉnement bien particulier.
Cโest une fรชte mais cโest aussi un affrontement, cโest une rencontre des cultures mais cโest aussi une โguerre sans armesโ aux yeux des locaux.
Cโest une confrontation entre deux provinces qui se joue, lร oรน se rejoignent deux chaรฎnes de montagnes mythiques : Le Gilgit-Baltistan, union des royaumes de lโHimalaya, contre son rival de toujours, le district de Chitral et les fils de lโHindu Kush.
Cโest une passe en haute montagne qui se transforme provisoirement en village de tentes, avec son bazar, son abattoir et ses diffรฉrents quartiers, mais surtout avec ton son stade.
Cโest lโapothรฉose dโune rivalitรฉ sportive qui se joue ร 3800 mรจtres dโaltitude, un match de โfreestyle poloโ comme on le pratique ici, c'est-ร -dire sans rรจgles, sans arbitre et au pรฉril de sa vie.
Cโest le festival de polo de Shandur auquel jโai eu la chance dโassister, et dont je vous livre ici quelques impressions.
Avant toute chose, il faut savoir que Shandur se mรฉrite. Lโaรฉroport le plus proche est ร 3 jours de route, et ce ne sont pas des routes pour les faibles dโesprit. Jโavais dรฉjร tentรฉ de passer ce col lโhiver dernier, et avait dรป renoncer devant les piles de neige qui sโy amoncellaient.
Le chemin de Shandur passe par des vallรฉes isolรฉes, des pistes difficiles et des virages enneigรฉs. Le voyageur doit affronter des lรฉgions de nids-de-poule, traverser des riviรจres et trouver son chemin dans les alpages pour enfin atteindre sa destination.
Lorsque le campement apparaรฎt ร lโhorizon, il semble un mirage tant sa prรฉsence est incongrue ici. Cโest le dรฉbut dโune chaรฎne de montagnes et la fin dโune autre, un passage symbolique encerclรฉ de monts enneigรฉs. Ici sโachรจve lโHimalaya et commence lโHindu Kush, la chaรฎne de montagne qui traverse lโAfghanistan et le Pakistan, cรฉlรจbre pour le chanvre qui y pousse partout et pour avoir servi de refuge aux combattants afghans depuis des siรจcles.
Des bords du lac dโeau pure, les tentes sโamoncellent et grimpent aux flancs des montagnes. De la route qui mรจne ร Chitral comme de celle qui vient de Gilgit, les locaux se pressent en processions de 4x4, de motos ou de minivans surchargรฉs. Chacun se hรขte pour trouver un emplacement oรน camper, prรฉparer la fรชte du soir et retrouver ses amis avant le dรฉbut des matchs.
Au cลur de lโanimation, il y a le stade.
Cโest une รฉtendue dโherbe plus ou moins plate, entourรฉe de gradins construits avec les cailloux des plateaux environnants. Dans la pure tradition du polo ร la pakistanaise, le terrain fait le quart de la taille voulue par les normes officielles, et les hommes des montagnes viennent par milliers assister au spectacle.
Le polo est considรฉrรฉ de par le monde comme un sport รฉlitiste, pratiquรฉ par des privilรฉgiรฉs qui se plient ร une รฉtiquette stricte.
Ici, le polo est un sport dโhommes rudes qui se distinguent par leur courage, leur รขpretรฉ au combat, et qui sโinquiรจtent de lโรฉtiquette comme ils respectent le code de la route (cโest ร dire pas du tout).
Il y a chaque annรฉe de nombreux blessรฉs parmi les joueurs, et parfois des morts.
La mort fait, de toute faรงon, partie de lโhistoire de ce festival depuis sa crรฉation en 1936.
ร lโรฉpoque, les participants sโรฉlancaient ร la tรชte de caravanes de chevaux et de mules sur les chemins escarpรฉs qui mรจnent ร cet alpage, et des hommes mourraient systรฉmatiquement en chemin. Aujourdโhui, il nโy a plus que les joueurs qui prennent de gros risques, et plusieurs dโentre eux devront รชtre รฉvacuรฉs aprรจs des chutes, dont un dans un รฉtat extrรชmement critique : Il a รฉtรฉ รฉcrasรฉ par la masse de deux chevaux.
Lโhรดpital de campagne le plus proche est ร 4h de route dโune piste rocailleuse.
Lors de la seconde journรฉe du festival ont lieu 4 matchs qui voient sโaffronter les รฉquipes 5, 4, 3 et 2 des deux districts. La grande finale entre les deux รฉquipes 1 est rรฉservรฉe pour le lendemain, mais nโallez pas croire que ces matchs prรฉliminaires sont sans enjeux.
Les joueurs de polo sont ici des stars dont la foule scande les noms lorsquโils entrent sur le terrain, dans un รฉtat dโesprit quโon imagine pas si diffรฉrent de celui des gladiateurs dโantan.
Leurs chevaux sont des bรชtes magnifiques, aux musculatures fines et aux yeux intelligents. Il leur arrive aussi de mourir sur ce terrain, dโune mauvaise chute ou lorsquโun cavalier emportรฉ par son รฉgo oublie de mรฉnager sa monture.
Le jeu alterne entre des pรฉriodes de confusion, oรน les joueurs sont au contact, et de subites envolรฉes oรน les montures sont lancรฉes ร pleine vitesse. Lorsquโun joueur parvient ร envoyer la balle entre les poteaux adverses, une moitiรฉ de la foule exulte et envahit le terrain pendant que lโautre grommelle dans sa barbe. Tout le monde ici est un fervent supporter de son camp, mais les gradins sont mรฉlangรฉs, et lโatmosphรจre reste bon enfant, et la dignitรฉ rรจgne dans la victoire comme dans la dรฉfaite.
Au plus prรจs de l'action
La nuit est tombรฉe sur le camp de toile et de mรฉtal, et la lumiรจre chaude des feux des hommes rรฉpond, en miroir, ร la clartรฉ froide des feux des รฉtoiles.
Les yaks, les chรจvres et les poulets sont abattus par centaines pour nourrir les humains affamรฉs. Ils sont รฉgorgรฉs ร mรชme le sol, en plein air, et ils se vident de leur sang dans la direction de la Mecque car cโest ainsi que le dicte la tradition ancestrale.
Lโoccidental en moi plaint les bรชtes et frรฉmit ร la vue du sang, mais il est bon de se confronter ร la rรฉalitรฉ de ce quโimplique la consommation de viande; choisir un morceau de rouge dans une barquette blanche dans les rayons propres dโun supermarchรฉ รฉtablit une dรฉconnexion malsaine entre nos pratiques alimentaires et la rรฉalitรฉ de la mise ร mort dโun รชtre sensible.
La fรชte au Pakistan se pratique entre hommes, dans une tente au sol couvert de tapis. On y chante des chansons tristes qui parlent dโamour, de montagnes et de bergers perdus dans les immensitรฉs. On y boit en cachette de lโalcool artisanal ร 70ยฐ, et on y fume un hashish gras qui passe pour un des meilleurs du monde.
Je passe de tente en tente en suivant les amis rencontrรฉs au cours de la journรฉe et qui sont devenus mes hรดtes. Bienvenu dans chaque tente, assis ร la meilleure place, abreuvรฉ dโeau-de-vie et de fumรฉes enivrantes, le statut dโinvitรฉ au Pakistan dรฉmontre encore une fois tout son pouvoir, dans ce pays de lโhospitalitรฉ reine.
Le froid polaire qui rรจgne au dehors sโoublie dans la chaleur de l'accueil, dans celle de lโalcool et dans le plaisir de convive.
Le soleil est levรฉ maintenant, et lโexcitation des jours de match rรจgne dans le camp. Des deux cรดtรฉs du col on attend ce jour toute lโannรฉe, cโest la finale.
Des files de voitures sont alignรฉes dans les deux sens, le long de la seule route qui traverse ces contrรฉes isolรฉes : Des participants prรฉvoyants ont dรฉjร pliรฉ bagages, ils prendront la route dรจs la fin du match pour retourner ร la chaleur de leurs foyers ou ร la duretรฉ de leurs labeurs.
Le stade est bondรฉ, et un cordon de policiers ร lโair menaรงant protรจge le terrain en agitant des bรขtons. Cela nโimpressionne en rien les hordes de spectateurs surexcitรฉs qui titillent les policiers en leur jetant des cailloux dรจs quโils ont le dos tournรฉ, et qui se rapprochent du terrain ร chaque but marquรฉ en profitant de la cohue.
Le match est de haut-vol, les joueurs sont des athlรจtes qui semblent planer sur leurs somptueuses montures, et lโexcitation semble atteindre les sommets qui entourent le terrain.
Soudain, tout sโarrรชte, le match est fini, le terrain envahi, et les joueurs de Chitral sont portรฉs en triomphe par une foule en dรฉlire.
Lโautre partie de la foule, elle, se rue vers sa voiture ou sa moto pour se presser de redescendre vers chez elle, et ainsi รฉviter les embouteillages monstres et les nuages de poussiรจre soulevรฉs de la piste.
Je ne vous ai rien dit de la beautรฉ des danses traditionnelles, de la majestรฉ des alpages ou de la dignitรฉ des vieillards. Je ne vous ai rien dit du bazar qui pullule, des gamins qui parcourent le camp librement et des รฉtincelles dans les yeux des hommes, mais je lโai fait exprรจs.
Je me dis que, comme รงa, รงa vous donnera peut-รชtre un peu envie de venir voir par vous mรชme.
On the road to Shandur
The stadium, and the camp in the background
A chicken seller in the bazaar of Shandur
A baker and his DIY oven
A butcher working on a cow skin ( one of the least shocking image I have)
Dinner with new friends