๐ฌ๐ง - A dinner with the Pashtuns
Tout le monde ne peut pas se vanter dโavoir des amis marchands dโarmes, et cโest probablement tant mieux.
Lors de mes visites ร Dara Adam Khel (voir โLe marchรฉ d'armesโ), jโai crรฉรฉ de forts liens dโamitiรฉs avec deux frรจres, Habib et Muheeb, qui ont hรฉritรฉ du magasin dโarmes paternel.
Jโaurais prรฉfรฉrรฉ quโils vendent des fleurs mais ce nโest pas trop dans leur culture. Comme ils le disent eux mรชmes en rigolant, quโest ce quโil faut pour rendre un pachtoun heureux ? โMany sons and many guns !โ
Un autre proverbe local dit que le pachtoun est le meilleur des amis et le pire des ennemis. Je nโai pour lโinstant pu vรฉrifier que la premiรจre partie de cette maxime, et compte bien mโen arrรชter lร . Je peux nรฉanmoins attester de sa vรฉracitรฉ: ร chaque fois que je suis allรฉ ร Dara Adam Khel, mรชme ร lโimproviste, jโai รฉtรฉ accueilli comme un roi.
Les rendez-vous sont repoussรฉs, mes amis hauts-placรฉs quittent leur emploi en laissant tout en plan, et quand je pars il me demande de rester plus longtemps la prochaine fois.
Il faut bien avouer que lโhospitalitรฉ des โpathansโ, comme on dit ici, est lรฉgendaire. Cโest lโune des deux valeurs maรฎtresses de cette culture si fiรจre. Lโautre est la vengeance mais je nโen ai pas non plus fait lโexpรฉrience, Dieu merci.
Quand on commence ร devenir vraiment ami avec des pachtouns, on peut commencer ร parler des sujets sensibles, voire ร les titiller un peu (cette cascade est accomplie par un professionnel, ร ne pas reproduire chez vous).
Jโai commencรฉ par m'intรฉresser ร la question des armes, du fonctionnement tribal et de lโorganisation de la sociรฉtรฉ dans ces territoires que l'รtat pakistanais ne contrรดle pas.
Jโen tirerai peut-รชtre un autre texte, plus sรฉrieux, car cette organisation ancestrale mรฉrite quโon sโy intรฉresse.
Ensuite, on monte un peu le curseur:
Est ce quโils connaissent des gens quโils considรจrent comme extrรฉmistes? Quelle est leur rรฉaction quand je leur explique que jโai assistรฉ ร des raves parties avec drogues & alcool dans leur pays, et que jโai mรชme couchรฉ avec certaines de leurs concitoyennes ?
Les rรฉponses sont mesurรฉes et relativement tolรฉrantes ร mes yeux.
Les extrรฉmistes ont pour la plupart รฉtรฉ liquidรฉs , mais ils mโavouent que je nโaurais pas pu venir me balader librement ici il y a une quinzaine dโannรฉes, les terroristes du TTP รฉtaient bien trop prรฉsents.
Sur le reste, ils considรจrent que chacun a le droit de faire ce que bon lui semble chez lui, et sโils trouvent que ces comportements ne sont pas bรฉnรฉfiques puisquโils vont ร lโencontre des enseignements de lโIslam, ils ne sont pas contre tant que ces pratiques nโapparaissent pas dans le domaine public.
Le crรฉpuscule est lร , les derniers rayons du soleil dรฉcoupent joliment les sommets des collines qui entourent le village. Mes amis mโemmรจnent dรฎner dans un restaurant dont cโest lโinauguration.
Cโest lโรฉvรจnement et il y a beaucoup de monde, plusieurs centaines dโhommes habillรฉs pareil mais dans des couleurs diffรฉrentes.
Ils se saluent ร la mode pachtoun : on sโincline pour poser sa main au niveau du cลur de lโautre avant de se redresser pour lui serrer la main.
Cโest lโune des plus belles maniรจres de saluer que jโai jamais vu.
En attendant quโon nous serve, jโattaque la derniรจre salve de questions; les serveurs sont dรฉbordรฉs et รงa mโarrange bien, car jโai lโintention dโaller les chercher sur le sujet oรน je sais que je ne pourrais pas les comprendre : la question des droits des femmes.
Jโattaque doucement en mโintรฉressant ร lโรฉducation des filles, et suis assez surpris dโapprendre quโelles vont gรฉnรฉralement ร lโรฉcole de 3 ร 18 ans. Il y a mรชme des รฉcoles mixtes jusqu'ร 11/12 ans, รขge ร partir duquel commence une sรฉgrรฉgation plus importante (dรฉbut de la pubertรฉ). Une partie des jeunes locales vont mรชme ร lโuniversitรฉ du coin, oรน dans la ville voisine de Peshawar.
Ensuite, il est temps de mettre les pieds dans le plat sans se les prendre dans le tapis.
Je suis toujours entourรฉ de centaines de pachtouns pour qui la loi de lโIslam est indiscutable et sacrรฉe, le blasphรจme passible de peine de mort.
Il ne faut pas non plus oublier que des drapeaux franรงais ont รฉtรฉ brรปlรฉs au Pakistan il y a un an ou deux, quand Macron avait publiquement dรฉfendu le droit au blasphรจme des abrutis de Charlie Hebdo.
Je suis nรฉanmoins complรจtement serein car รฉtant lโhรดte de membres de cette communautรฉ, ils prรฉfรฉreraient mourir que de laisser quelque chose mโarriver. (Littรฉralement, on ne rigole pas avec lโhospitalitรฉ et lโhonneur chez les pachtouns.)
Je rรฉpรจte que mes amis sont des gens bons et doux, intelligents et cultivรฉs avec qui je prends beaucoup de plaisir ร discuter et ร passer du temps. Pourtant, quand je leur demande ร la cantonade si leurs femmes portent la burqa, cโest un 100% oui.
Choc des cultures.
Je vais essayer de rรฉpรฉter ici la substance dโun dรฉbat qui a durรฉ une trentaine de minutes au moins, en quelques lignes.
Les serveurs รฉtaient vraiment dรฉbordรฉs par le monde et ils ont oubliรฉ notre commande deux fois, ce qui mโarrangeait toujours.
Habib commence par mโexpliquer ceci :
โTu sais, ici nous sommes une sociรฉtรฉ musulmane ultra-orthodoxe. Pour nous il nโy a quโune seule loi et cโest celle de lโIslam. Hors, dans le Coran il est รฉcrit que les femmes doivent sโhabiller โmodestementโ.
โOui , enfin Habib tu ne trouves pas que vous y allez un peu fort avec la modestie quand mรชme ? Des millions de femmes musulmanes portent uniquement le hijab, au Maghreb par exemple, ou mรชme le tchador et tout le monde considรจre que รงa suffit ! Vous cโest un peu too much quand mรชme.โ
โComme tu le sais il y a diffรฉrentes interprรฉtations du Coran, et elles sont souvent mรฉlangรฉes avec les cultures locales.La burqa je crois que cโest principalement quelque chose de culturellement pachtoun. Je comprends que cela te choque parce que ta culture est diffรฉrente, au mรชme titre que je suis choquรฉ quand tu me dรฉcris Paris avec ร chaque coin de rue des bars et des terrasses oรน lโon boit de lโalcool, ou bien les fรชtes oรน tu vas avec des homosexuels qui sโadonnent ร des pรชchรฉs au regard de tous. Nos cultures et nos systรจmes de valeurs sont radicalement diffรฉrents, et il est difficile de ne pas juger.โ
โMais enfin Habib, si ta fille dรฉcide par exemple dโaller ร lโUniversitรฉ pour รฉtudier, et quโun jour elle rentre en te disant quโelle ne veut plus porter le voile, tu ne vas quand mรชme pas la forcer? โ
โNon, mais ce serait un รฉchec de lโรฉducation que je lui ai donnรฉ. Je ne la forcerai pas, mais ร travers lโรฉducation que ma femme et moi lui donneront Insha Allah, elle comprendra quโโelle est belle et prรฉcieuse comme un diamant, et quโil faut prรฉserver cette beautรฉ car je connais les hommes, en รฉtant un moi-mรชme.โ
โNon mais et si par exemple elle devient mรฉdecin ? Elle ne va quand mรชme pas soigner que des femmes ou opรฉrer en portant sa burqa?โ
โNon, dans ce cas lร lโIslam permet quโelle nโen porte pas, bien sรปr. Mรชme si elle sera amenรฉe ร travailler avec des hommes, lโIslam a une certaine souplesse sur les questions mรฉdicales. Par exemple, il est permis de montrer ses parties intimes ร un docteur puisquโon a pas le choix en cas de problรจmes.โ
Cโest le moment que choisissent les serveurs (qui se font copieusement engueuler ร chaque fois quโils passent devant notre table) pour amener enfin un grand plat de riz et de viandes. Comme jโessaie de continuer ร dรฉbattre, un de mes voisins mโassรจne โfocus on the foodโ. Chez les Pachtouns tout le monde se sert dans le mรชme plat, avec les doigts, et on ne discute pas pendant quโon mange.
Aprรจs un dรฎner copieux, je quitte Dara Adam Khel sur ma moto locale merdique.
Si notre dรฉsaccord reste profond, notre amitiรฉ le demeure aussi.
Il est ridiculement difficile de sโaffranchir complรจtement de ses propres prรฉjugรฉs, et de nos perspectives culturelles pour dรฉbattre objectivement de sujets aussi clivants.
Heureusement quโon peut รชtre amis par-dessus les cultures, les frontiรจres et les dรฉsaccords.
Alors que je me prรฉpare ร franchir la frontiรจre afghane, mes amis mโannoncent que je suis dans leurs priรจres. Cโest la premiรจre fois quโon prie pour moi dans deux religions diffรฉrentes.
Avec รงa je ne vois pas ce qui peut mโarriver.
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๐ฌ๐ง๐ฌ๐ง๐ฌ๐ง๐ฌ๐ง๐ฌ๐ง๐ฌ๐ง
Not everyone can boast of having friends who are arms dealers, and that's probably all for the best.
During my visits to Dara Adam Khel (see "The gun market"), I developed strong friendships with two brothers, Habib and Muheeb, who inherited their father's gun shop.
I would have preferred them to sell flowers, but that's not really in their culture. As they themselves joke, what does it take to make a Pashtun happy? "Many sons and many guns!"
Another local proverb says that the Pashtun is the best of friends and the worst of enemies. So far I've only been able to verify the first part of this maxim, and intend to stop there. But I can attest to its truth: every time I've been to Dara Adam Khel, even unannounced, I've been welcomed like a king.
Appointments are postponed, my high-ranking friends leave their jobs behind and when I leave they ask me to stay longer next time.
It has to be said that the hospitality of the 'pathans', as they say here, is legendary. It is one of the two core values of this proud culture. The other is revenge, but I haven't experienced that either, thank God.
When you start to become really good friends with Pashtuns, you can start to talk about sensitive subjects, and even tease them a bit (this stunt was carried out by a professional, so don't do it at home).
I began by looking at the question of weapons, tribal functioning and the organisation of society in these territories that the Pakistani state does not control.
I may come up with another, more serious piece, because this ancestral organisation deserves our attention.
Then we move the cursor up a bit:
Do they know people they consider to be extremists? What's their reaction when I explain to them that I've been to rave parties with drugs and alcohol in their country, and that I've even slept with some of their fellow citizens?
The responses are measured and relatively tolerant in my view.
Most of the extremists have been liquidated, but they admit to me that I wouldn't have been able to walk around here freely fifteen years ago, the TTP terrorists were far too present.
As for the rest, they believe that everyone has the right to do as they please in their own homes, and while they find that such behaviour is not beneficial because it goes against the teachings of Islam, they are not against it as long as these practices do not appear in the public domain.
It's dusk, and the last rays of sunlight cut a beautiful swathe through the hilltops surrounding the village. My friends are taking me to dinner at a restaurant that's opening its doors.
It's a big event and there are lots of people there, several hundred men dressed alike but in different colours.
They greet each other in the Pashtun way: you bow and put your hand on the other person's heart before straightening up to shake hands.
It's one of the most beautiful ways of greeting I've ever seen.
While I wait for the food to be served, I start the last round of questions; the waiters are swamped and that's just fine with me, because I intend to ask them about the subject I know I won't be able to understand: women's rights.
I start slowly by looking at the education of girls, and am quite surprised to learn that they generally go to school from the age of 3 to 18. There are even co-educational schools up to the age of 11/12, at which point they start to become more segregated (at the onset of puberty). Some of the local girls even go to university in the local area, or in the neighbouring city of Peshawar.
Then it's time to jump in with both feet.
I'm still surrounded by hundreds of Pashtuns for whom the law of Islam is indisputable and sacred, and blasphemy punishable by death.
And don't forget that French flags were burnt in Pakistan a year or two ago, when Macron publicly defended the right to blasphemy of the Charlie Hebdo idiots.
However, I am completely at peace knowing that, as a guest of members of this community, they would rather die than let anything happen to me ("Literally, hospitality and honour are no laughing matter among the Pashtuns").
I repeat that my friends are good and gentle, intelligent and cultured people with whom I take great pleasure in talking and spending time. However, when I ask them if their wives wear the burqa, the answer is 100% yes.
Culture shock.
I'm going to try to repeat here the substance of a debate that lasted at least thirty minutes, in a few lines.
The waiters were really overloaded with people and they forgot our order twice, which was still fine with me.
Habib starts by explaining this to me:
"You know, here we are an ultra-orthodox Muslim society. For us there is only one law and that's Islam. In the Koran it says that women should dress 'modestly'.
"Yes, well, Habib, don't you think you're going a bit far with modesty? Millions of Muslim women wear nothing but the hijab, in North Africa for example, or even the chador, and everyone thinks that's enough! You're a bit too much here don't you think ?
"As you know, there are different interpretations of the Koran, and they're often mixed up with local cultures.The burqa I think is mainly something culturally Pashtun. I understand that it shocks you because your culture is different, just as I'm shocked when you describe Paris with bars and terraces where people drink alcohol on every street corner, or the parties you go to with homosexuals who indulge in sins in full view of everyone. Our cultures and value systems are radically different, and it's hard not to judge."
"But come on, Habib, if your daughter decides, for example, to go to university to study, and one day she comes back and says she doesn't want to wear the veil any more, you're not going to force her? "
"No, but that would be a failure of the education I've given her. I won't force her, but through the education we will give her Insha Allah, we will explain to her that she is beautiful and precious like a diamond, and that this beauty must be preserved because I know men, being one myself."
"No, but what if, for example, she becomes a doctor? She's not going to treat only women or operate while wearing her burqa?"
"No, in that case Islam allows her not to wear one, of course. Even though she will have to work with men, Islam has a certain flexibility when it comes to medical issues. For example, it's permissible to show your private parts to a doctor, as you have no choice in the event of problems."
That's when the waiters (who get yelled at profusely every time they pass by our table) finally bring out a big plate of rice and meat. As I try to continue arguing, one of my neighbours says "focus on the food". Among the Pashtuns, everyone eats from the same plate, with fingers, and there's no chatting while you're eating.
After a copious dinner, I leave Dara Adam Khel on my shitty local motorbike.
If our disagreement remains profound, so does our friendship.
It's ridiculously difficult to completely free ourselves from our own preconceptions and cultural perspectives in order to debate such divisive issues objectively.
Fortunately, we can be friends across cultures, borders and disagreements.
As I prepare to cross the border into Afghanistan, my friends tell me that I'm in their prayers. It's the first time I've been prayed for in two different religions.
Iโm pretty sure this double protection will do wonders.