Les chroniques du monde qui coule

Paris - Katmandou en autostop. Parti à la découverte du monde et des humains, je vous propose ici un témoignage pseudo-journalistique, à hauteur d'homme et de paysage.

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Par Les Chroniques du monde qui coule (Hippolyte)
16 déc. · 3 mn à lire
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🇫🇷 - Nouvelles du pays sans musique

🇬🇧 - News from a country without music

🇬🇧🇬🇧 - English version available - Just slide down - 🇬🇧🇬🇧

En France, on dit souvent que la musique adoucit les mœurs. 
Les talibans ne sont pas d’accord.

Le 29 juillet dernier, alors que je suis en Afghanistan depuis 6 jours, j’apprends qu’un autodafé musical a eu lieu dans la province d’Herat. 
L’image est marquante, une pile comprenant des enceintes, une guitare, un harmonium et autres brûle dans le désert, sous le regard d’hommes en turban portant la Kalashnikov (seul instrument dont les talibans semblent apprécier le son).

Autodafé musical dans le désert, près d'HeratAutodafé musical dans le désert, près d'Herat

Il ne s’agit pas du coup d’éclat isolé d’un groupe anti-mélomane déterminé, mais bien d’une politique gouvernementale assumée. Comme lors de leur premier régime des années 90, les talibans ont interdit formellement la musique, et la photo est postée sur twitter par le ministère afghan de “la prévention du vice et de la promotion de la vertu”. 

Du point de vue des officiels talibans, la musique est en effet un vice, qui risque de détourner la jeunesse de Dieu. Depuis qu’ils ont pris le pouvoir, la sentence a pris effet : les radios ne diffusent plus de musique, les salles de mariage sont menacées de fermeture si elles contreviennent à l’interdiction et se balader avec des écouteurs est devenu suspect. 


Il existe une exception à cette règle, qui prouve qu’en plus d’être des oppresseurs en puissance, les talibans ont vraiment des goûts de chiotte, le “Na’at”. 
Cette bouillie  franchement inaudible est la seule autorisée dans le pays, et consiste en gros en un fond musical sur lequel sont psalmodiés jusqu’à la nausée des noms de martyrs et autres joyeusetés religieuses. 

Des locaux me l’ont décrit comme de la “musique de motivation pour Moudjhiddines”, et c’est vrai qu’on imagine bien quelques barbus dans une grotte en train d’écouter ça en boucle pour se donner le courage d’attaquer un convoi. Moi aussi, si on me fait trop longtemps écouter de la musique de merde, je suis prêt à risquer ma vie pour que ça s’arrête. 


En Afghanistan, donc, le pouvoir en place réplique la politique culturelle des totalitarismes les plus célèbres, qu’on pourrait résumer par la devise :  “Pas d’art, sauf le mien !”

Lors de mariages devenus tristounes on déplore cette absence d’ambiance, mais comme partout dans cette situation la résistance s’organise. 
Lorsque la nuit tombe et que les talibans sont couchés dans leurs mosquées, on allume les enceintes bluetooth et le mariage est célébré par les danses et les cris de joie auxquels les joyeux événements se doivent d’être associés. Garçons et filles, eux, restent bien évidemment séparés. 


Dans les rues et les échoppes d’antiquaires de la vieille ville d’Herat, il arrive parfois qu’on croise des musiciens récalcitrants. Ils vous font entrer et ferment la porte à double tour, comme des conspirateurs, pour vous jouer des airs des temps anciens, qui parlent de désert, d’oasis et de caravanes égarées (enfin je crois, j’ai rien compris aux paroles).


Dans les taxi et les minibus aussi, après quelques heures de voyage et quand la conversation a assuré le conducteur qu’aucun des passagers ne risque de le trahir, on monte doucement le volume, qui sera coupé dès qu’un checkpoint apparaîtra sur l’horizon. 
Une fois les cerbères passés, le son du rubab et les complaintes poétiques reviendront adoucir les mœurs, qui en ont bien besoin au pays des afghans.

Un taliban devant le checkpoint qu'il contrôleUn taliban devant le checkpoint qu'il contrôle

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🇬🇧🇬🇧🇬🇧🇬🇧🇬🇧🇬🇧 - English version


In France, it is often said that music soothes the soul. 
The Taliban disagree.


On 29 July, after 6 days in Afghanistan, I learnt that a musical auto-da-fé had taken place in the province of Herat. 
The image is striking: a pile of speakers, a guitar, a harmonium and other musical items burns in the desert, watched by men in turbans carrying Kalashnikovs (the only instrument the Taliban seem to appreciate the sound of).

Musical auto-da-fé in the desert near HeratMusical auto-da-fé in the desert near Herat

This is not the isolated outburst of a determined anti-melomane group, but a clear government policy. As was the case during their first regime in the 90s, the Taliban have formally banned music, and the photo was posted on twitter by the Afghan Ministry of "Prevention of Vice and Promotion of Virtue". 

From the point of view of Taliban officials, music is in fact a vice that risks turning young people away from God. Since they took power, the sentence has taken effect: radios no longer play music, wedding halls are threatened with closure if they contravene the ban, and walking around with headphones on has become suspect. 


There is one exception to this rule, which proves that as well as being total oppressors, the Taliban really do have shitty taste: 'Na'at'. 
This frankly inaudible mush is the only kind of music allowed in the country, and basically consists of background melodies to which are chanted to the point of nausea the names of martyrs and other religious gibberish. 
Locals described it to me as "motivational music for the Mujhiddin", and it's true that it's easy to imagine a few bearded men in a cave listening to this on a loop to give themselves the courage to attack a convoy. I too would risk my life to stop listening to crap music for so long. 


In Afghanistan, the powers that be are replicating the cultural policy of the most notorious totalitarian regimes, which could be summed up by the motto: "No art, except my own!"
At weddings that have become gloomy, this lack of atmosphere is deplored, but as everywhere in this situation resistance is being organized. 

When night falls and the Taliban have gone to bed in their mosques, the bluetooth speakers are switched on and the wedding is celebrated with the dancing and shouts of joy with which joyous events must be associated. Boys and girls, of course, remain separate. 

In the streets and antique stalls of Herat's old town, you sometimes come across recalcitrant musicians. They let you in and lock the door, like conspirators, to play you tunes from ancient times about deserts, oases and lost caravans ( at least I think so, I didn't understand the lyrics).

In taxis and minibuses too, after a few hours' travel and when the conversation has assured the driver that none of the passengers is in any risk of betraying him, the volume is slowly turned up, to be cut as soon as a checkpoint appears on the horizon. 

Once the guards have passed, the sound of the rubab and the poetic laments will come back to sweeten the hearts, which are sorely in need of it in the land of the Afghans.

A Taliban soldier and the checkpoint he controlsA Taliban soldier and the checkpoint he controls