Les chroniques du monde qui coule

Paris - Katmandou en autostop. Parti à la découverte du monde et des humains, je vous propose ici un témoignage pseudo-journalistique, à hauteur d'homme et de paysage.

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Par Les Chroniques du monde qui coule (Hippolyte)
18 déc. · 2 mn à lire
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🇫🇷 - Le spleen de Kaboul

🇬🇧 - Kabul spleen

🇬🇧🇬🇧 - English version available - Just slide down - 🇬🇧🇬🇧

🇫🇷🇫🇷🇫🇷

Kaboul à la dignité triste de ces personnes âgées que la mort n’impressionne plus.
À force d’avoir vu partir tant de gens, elles ne baissent plus la tête au cimetière et c’est comme si le chagrin glissait sur la peau ridée.

Pour bien écrire sur la tristesse il faut l’avoir beaucoup vécue, je me contenterai donc de vous parler de la nouvelle vie de Kabul. C’est celle d’enfants qui grandissent sans avoir entendu le bruit des bombes sous le regard placide de leurs parents qui semblent avoir tout vécu.
Je vous parlerai aussi de l’incertitude qui plane chaque jour sur la ville, de la peur qui oppresse encore son souffle et l’empêche de savoir sur quel pied danser, ce qui tombe bien puisque danser y est interdit. 
Et la musique aussi, d’ailleurs. 


C’est dommage pourtant, car Kabul que j’imaginais éclopée, abîmée, meurtrie par les années de guerre fait preuve d’une résilience que seule l’expérience permet d’atteindre. 
À l’exception des checkpoints qui font partie de son quotidien depuis 50 ans, la ville ne porte pas de stigmates visibles, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas atteinte.  

Les enfants des rues sont le plus visible des symptômes de son mal, un mal de l’âme qu’il faudra plusieurs générations pour effacer. La paix retrouvée est le plus précieux des trésors, mais elle s’accompagne d’un dénuement extrême pour ceux qui peuplent les murs et arpentent les trottoirs. 
Ils sont des milliers à battre le pavé; chiffonniers, cireurs de chaussure, mendiants et rabatteurs… 
Ils ne meurent pas de faim grâce à la solidarité d’un peuple qui sait qu’on ne va pas loin dans les autres, mais c’est tout le reste qui leur fait défaut. Éducation, perspectives, espoir…
Si Kabul est si triste c’est parce qu’elle lit la résignation sur le visage de ses enfants.


On ne sait pas très bien si ses années de déchéance l’ont rendue belle ou moche, et à l’aune de son passé cela compte finalement bien peu.
Ce qui est sûr c’est qu’elle ne laisse pas indifférent et que sa face mobile et expressive trouve son charme dans le regard du voyageur qui rêvait depuis des années de la regarder dans le fond des yeux. 

Alors il s’approche doucement, regardant à travers la grille qui enferme les yeux de la belle, et retient son souffle en soulevant un coin du voile qui la couvre toute entière. 

Quelle idée, quand même, de vouloir enfermer une beauté pareille.

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🇬🇧🇬🇧🇬🇧🇬🇧🇬🇧🇬🇧 - English version

Kabul has the sad dignity of elderly people who are no longer impressed by death.
Having seen so many people go, they no longer bow their heads at the cemetery, and it's as if grief glides over their wrinkled skin.

To write about sadness properly, you need to have lived through a lot of it, so I'll just tell you about Kabul's new life. It's the life of children who grow up without having heard the sound of bombs under the placid gaze of their parents who seem to have lived it all.
I'll also tell you about the uncertainty that hangs over the city every day, the fear that still oppresses its breath and prevents it from knowing on what foot to dance, which is just as well, since dancing is forbidden there. 

And so is music. 


It's a pity, though, because Kabul, which I imagined to be shattered, battered and bruised by years of war, shows a resilience that can only be achieved through experience. 
With the exception of the checkpoints that have been part of its daily life for 50 years, the city bears no visible scars, which is not to say that it is not suffering.  

The street children are the most visible symptom of its evil, an evil of the soul that will take several generations to erase. The new-found peace is the most precious of treasures, but it is accompanied by extreme destitution for those who populate the walls and walk the pavements. 
Thousands of them pound the pavements; ragpickers, shoeshine boys, beggars and touts... 
They're not starving to death, thanks to the solidarity of a people who know that you can't go far in the others, but it's everything else that they lack. Education, prospects, hope...
Kabul is so sad because she can see the resignation on her children's faces.


We don't really know whether her years of decline have made her beautiful or ugly, and in the light of her past that counts for very little. 
What is certain is that she leaves no one indifferent, and that her mobile, expressive face finds its charm in the gaze of the traveller who has been dreaming for years of looking into her eyes. 
So he approached her gently, peering through the grille that enclosed her eyes, and held his breath as he lifted a corner of the veil that covered her completely. 

What an idea, really, to want to lock up such a beauty.