Les chroniques du monde qui coule

Paris - Katmandou en autostop. Parti à la découverte du monde et des humains, je vous propose ici un témoignage pseudo-journalistique, à hauteur d'homme et de paysage.

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Par Les Chroniques du monde qui coule (Hippolyte)
24 août · 7 mn à lire
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🇫🇷 - Shandur Polo Festival

🇬🇧 - Shandur Polo Festival

Du 07 au 09 juillet, dans le nord du Pakistan, a lieu un événement bien particulier. 

C’est une fête mais c’est aussi un affrontement, c’est une rencontre des cultures mais c’est aussi une “guerre sans armes” aux yeux des locaux.
C’est une confrontation entre deux provinces qui se joue, là où se rejoignent deux chaînes de montagnes mythiques : Le Gilgit-Baltistan, union des royaumes de l’Himalaya, contre son rival de toujours, le district de Chitral et les fils de l’Hindu Kush. 
C’est une passe en haute montagne qui se transforme provisoirement en village de tentes, avec son bazar, son abattoir et ses différents quartiers, mais surtout avec ton son stade. 
C’est l’apothéose d’une rivalité sportive qui se joue à 3800 mètres d’altitude, un match de “freestyle polo” comme on le pratique ici, c'est-à-dire sans règles, sans arbitre et au péril de sa vie. 
C’est le festival de polo de Shandur auquel j’ai eu la chance d’assister, et dont je vous livre ici quelques impressions. 


Avant toute chose, il faut savoir que Shandur se mérite. L’aéroport le plus proche est à 3 jours de route, et ce ne sont pas des routes pour les faibles d’esprit. J’avais déjà tenté de passer ce col l’hiver dernier, et avait dû renoncer devant les piles de neige qui s’y amoncellaient.
Le chemin de Shandur passe par des vallées isolées, des pistes difficiles et des virages enneigés. Le voyageur doit affronter des légions de nids-de-poule, traverser des rivières et trouver son chemin dans les alpages pour enfin atteindre sa destination. 


Sur la route de ShandurSur la route de Shandur

Lorsque le campement apparaît à l’horizon, il semble un mirage tant sa présence est incongrue ici. C’est le début d’une chaîne de montagnes et la fin d’une autre, un passage symbolique encerclé de monts enneigés. Ici s’achève l’Himalaya et commence l’Hindu Kush, la chaîne de montagne qui traverse l’Afghanistan et le Pakistan, célèbre pour le chanvre qui y pousse partout et pour avoir servi de refuge aux combattants afghans depuis des siècles.
Des bords du lac d’eau pure, les tentes s’amoncellent et grimpent aux flancs des montagnes. De la route qui mène à Chitral comme de celle qui vient de Gilgit, les locaux se pressent en processions de 4x4, de motos ou de minivans surchargés. Chacun se hâte pour trouver un emplacement où camper, préparer la fête du soir et retrouver ses amis avant le début des matchs. 


Au cœur de l’animation, il y a le stade.

C’est une étendue d’herbe plus ou moins plate, entourée de gradins construits avec les cailloux des plateaux environnants. Dans la pure tradition du polo à la pakistanaise, le terrain fait le quart de la taille voulue par les normes officielles, et les hommes des montagnes viennent par milliers assister au spectacle.

Le stade de Shandur et, à l'arrière plan, son village de tentesLe stade de Shandur et, à l'arrière plan, son village de tentes

Le polo est considéré de par le monde comme un sport élitiste, pratiqué par des privilégiés qui se plient à une étiquette stricte.
Ici, le polo est un sport d’hommes rudes qui se distinguent par leur courage, leur âpreté au combat, et qui s’inquiètent de l’étiquette comme ils respectent le code de la route (c’est à dire pas du tout). 

Il y a chaque année de nombreux blessés parmi les joueurs, et parfois des morts. 

La mort fait, de toute façon, partie de l’histoire de ce festival depuis sa création en 1936. 

À l’époque, les participants s’élancaient à la tête de caravanes de chevaux et de mules sur les chemins escarpés qui mènent à cet alpage, et des hommes mourraient systématiquement en chemin. Aujourd’hui, il n’y a plus que les joueurs qui prennent de gros risques, et plusieurs d’entre eux devront être évacués après des chutes, dont un dans un état extrêmement critique : Il a été écrasé par la masse de deux chevaux. 

L’hôpital de campagne le plus proche est à 4h de route d’une piste rocailleuse. 


Lors de la seconde journée du festival ont lieu 4 matchs qui voient s’affronter les équipes 5, 4, 3 et 2 des deux districts. La grande finale entre les deux équipes 1 est réservée pour le lendemain, mais n’allez pas croire que ces matchs préliminaires sont sans enjeux. 

Les joueurs de polo sont ici des stars dont la foule scande les noms lorsqu’ils entrent sur le terrain, dans un état d’esprit qu’on imagine pas si différent de celui des gladiateurs d’antan. 

Leurs chevaux sont des bêtes magnifiques, aux musculatures fines et aux yeux intelligents. Il leur arrive aussi de mourir sur ce terrain, d’une mauvaise chute ou lorsqu’un cavalier emporté par son égo oublie de ménager sa monture. 

Le jeu alterne entre des périodes de confusion, où les joueurs sont au contact, et de subites envolées où les montures sont lancées à pleine vitesse. Lorsqu’un joueur parvient à envoyer la balle entre les poteaux adverses, une moitié de la foule exulte et envahit le terrain pendant que l’autre grommelle dans sa barbe. Tout le monde ici est un fervent supporter de son camp, mais les gradins sont mélangés, et l’atmosphère reste bon enfant, et la dignité règne dans la victoire comme dans la défaite. 

Au plus près de l'action

La nuit est tombée sur le camp de toile et de métal, et la lumière chaude des feux des hommes répond, en miroir, à la clarté froide des feux des étoiles. 

Les yaks, les chèvres et les poulets sont abattus par centaines pour nourrir les humains affamés. Ils sont égorgés à même le sol, en plein air, et ils se vident de leur sang dans la direction de la Mecque car c’est ainsi que le dicte la tradition ancestrale. 

L’occidental en moi plaint les bêtes et frémit à la vue du sang, mais il est bon de se confronter à la réalité de ce qu’implique la consommation de viande; choisir un morceau de rouge dans une barquette blanche dans les rayons propres d’un supermarché établit une déconnexion malsaine entre nos pratiques alimentaires et la réalité de la mise à mort d’un être sensible. 

Un vendeur de poulet dans le bazar de ShandurUn vendeur de poulet dans le bazar de ShandurUn boulanger et son four à pain fait de roche et de boueUn boulanger et son four à pain fait de roche et de boueL'un des bouchers s'affaire sur la peau d'une vache (je vous ai épargné les images les plus trash)L'un des bouchers s'affaire sur la peau d'une vache (je vous ai épargné les images les plus trash)

La fête au Pakistan se pratique entre hommes, dans une tente au sol couvert de tapis. On y chante des chansons tristes qui parlent d’amour, de montagnes et de bergers perdus dans les immensités. On y boit en cachette de l’alcool artisanal à 70°, et on y fume un hashish gras qui passe pour un des meilleurs du monde. 

Je passe de tente en tente en suivant les amis rencontrés au cours de la journée et qui sont devenus mes hôtes. Bienvenu dans chaque tente, assis à la meilleure place, abreuvé d’eau-de-vie et de fumées enivrantes, le statut d’invité au Pakistan démontre encore une fois tout son pouvoir, dans ce pays de l’hospitalité reine. 

Le froid polaire qui règne au dehors s’oublie dans la chaleur de l'accueil, dans celle de l’alcool et dans le plaisir de convive. 

Dîner avec nos nouveaux amisDîner avec nos nouveaux amisRelaxation et discussion culturelle sous la tenteRelaxation et discussion culturelle sous la tente

Le soleil est levé maintenant, et l’excitation des jours de match règne dans le camp. Des deux côtés du col on attend ce jour toute l’année, c’est la finale. 

Des files de voitures sont alignées dans les deux sens, le long de la seule route qui traverse ces contrées isolées : Des participants prévoyants ont déjà plié bagages, ils prendront la route dès la fin du match pour retourner à la chaleur de leurs foyers ou à la dureté de leurs labeurs. 

Le stade est bondé, et un cordon de policiers à l’air menaçant protège le terrain en agitant des bâtons. Cela n’impressionne en rien les hordes de spectateurs surexcités qui titillent les policiers en leur jetant des cailloux dès qu’ils ont le dos tourné, et qui se rapprochent du terrain à chaque but marqué en profitant de la cohue. 

Le match est de haut-vol, les joueurs sont des athlètes qui semblent planer sur leurs somptueuses montures, et l’excitation semble atteindre les sommets qui entourent le terrain. 

Soudain, tout s’arrête, le match est fini, le terrain envahi, et les joueurs de Chitral sont portés en triomphe par une foule en délire. 

L’autre partie de la foule, elle, se rue vers sa voiture ou sa moto pour se presser de redescendre vers chez elle, et ainsi éviter les embouteillages monstres et les nuages de poussière soulevés de la piste. 


Je ne vous ai rien dit de la beauté des danses traditionnelles, de la majesté des alpages ou de la dignité des vieillards. Je ne vous ai rien dit du bazar qui pullule, des gamins qui parcourent le camp librement et des étincelles dans les yeux des hommes, mais je l’ai fait exprès. 

Je me dis que, comme ça, ça vous donnera peut-être un peu envie de venir voir par vous même.

SHANDUR POLO FESTIVAL - ENGLISH VERSION

From 07 to 09 July, a very special event is taking place in northern Pakistan.

It's a festival, but it's also a confrontation, a meeting of cultures, but it's also an "unarmed war" in the eyes of the locals.

It's a confrontation between two provinces, where two mythical mountain ranges meet: Gilgit-Baltistan, the union of the Himalayan kingdoms, against its arch-rival, the district of Chitral and the sons of the Hindu Kush.

This high mountain pass is temporarily transformed into a tent city, with its bazaar, its slaughterhouse and its various districts, but above all with its stadium.

It's the apotheosis of a sporting rivalry played out at an altitude of 3,800 metres, a 'freestyle polo' match as it is practised here, in other words, with no rules, no referees and at the risk of one's life. I was lucky enough to attend the Shandur polo festival, and I'd like to share a few impressions with you.

First and foremost, Shandur has to be earned. The nearest airport is a 3-day drive away, and these are not roads for the faint-hearted. I had already tried to cross this pass last winter, and had to give up because of the piles of snow.
The road to Shandur passes through isolated valleys, difficult tracks and snow-covered bends. The traveller must face legions of potholes, cross rivers and find his way through the mountain pastures before finally reaching his destination.

When the camp appears on the horizon, it seems like a mirage, so incongruous is its presence here. It's the beginning of one mountain range and the end of another, a symbolic passage encircled by snow-capped mountains. Here ends the Himalayas and begins the Hindu Kush, the mountain range that runs through Afghanistan and Pakistan, famous for the hemp that grows everywhere and for having served as a refuge for Afghan fighters for centuries. From the shores of the pristine lake, the tents pile up and climb the mountainsides. From the roads leading to Chitral and Gilgit, the locals throng in processions of overloaded 4x4s, motorbikes and minivans. Everyone is in a hurry to find a place to camp, prepare for the evening party and meet up with friends before the matches start.

On the road to ShandurOn the road to Shandur

At the heart of the action is the stadium.

It's a more or less flat expanse of grass, surrounded by bleachers built from the stones of the surrounding plateaux. In the pure tradition of Pakistani polo, the pitch is a quarter of the size required by official standards, and the mountain men come in their thousands to watch the spectacle.

Around the world, polo is regarded as an elitist sport, practised by the privileged few who abide by strict etiquette.

Here, polo is a sport for rugged men who distinguish themselves by their courage, their fierceness in battle, and who worry about etiquette in the same way as they respect the traffic laws (which is to say, not at all).

Every year, many players are injured, and sometimes killed. In any case, death has been part of the festival's history since it was founded in 1936.

Back then, the participants would set off at the head of caravans of horses and mules along the steep paths leading to this mountain pasture, and men would systematically die along the way. Today, it is only the players who take great risks, and several of them will have to be evacuated after falls, including one in an extremely critical condition: he was crushed by the mass of two horses.

The nearest field hospital is a 4-hour drive down a rocky track.

The stadium, and the camp in the backgroundThe stadium, and the camp in the background

The second day of the festival sees 4 matches between teams 5, 4, 3 and 2 from the two districts. The grand final between the two "team 1" is reserved for the following day, but don't think that these preliminary matches are without stakes.

The polo players here are stars whose names are chanted by the crowd as they take to the field, in a state of mind not dissimilar to that of the gladiators of yesteryear.

Their horses are magnificent beasts, with fine muscles and intelligent eyes. They can also die on the pitch, from a bad fall or when a rider carried away by his ego forgets to treat his mount with care.

The game alternates between periods of confusion, when the players are in contact, and sudden bursts of speed. When a player manages to send the ball between the opposing posts, one half of the crowd exults and invades the pitch while the other grumbles under their breath.

Everyone here is a fervent supporter of their side, but the stands are mixed, and the atmosphere remains good-natured, with dignity reigning in victory and defeat alike.


Night has fallen on the camp of canvas and metal, and the warm light of the men's fires is mirrored by the cold brightness of the stars.

Hundreds of yaks, goats and chickens are slaughtered to feed the starving humans. Their throats are slit on the ground, in the open air, and they bleed in the direction of Mecca, because that's how ancestral tradition dictates.

The Westerner in me feels sorry for the animals and shudders at the sight of blood, but it's good to face up to the reality of what eating meat involves; choosing a piece of red from a white tray in the clean aisles of a supermarket establishes an unhealthy disconnect between our eating practices and the reality of the killing of a sentient being.

A chicken seller in the bazaar of ShandurA chicken seller in the bazaar of Shandur

A baker and his DIY ovenA baker and his DIY oven

A butcher working on a cow skin ( one of the least shocking image I have) A butcher working on a cow skin ( one of the least shocking image I have)

The festivities in Pakistan are held between men, in a tent with a carpeted floor.

They sing sad songs about love, mountains and shepherds lost in the vastness. They secretly drink homemade 70° alcohol and smoke a greasy hashish that is considered to be one of the best in the world.

I move from tent to tent, following the friends I've met during the day who have become my hosts.

Welcome in each tent, seated in the best place, drunk with brandy and intoxicating smoke, the status of guest in Pakistan once again demonstrates all its power, in this country of supreme hospitality.

The polar cold outside is forgotten in the warmth of the welcome, the alcohol and the pleasure of company.

Dinner with new friendsDinner with new friends

The sun is up now, and the excitement of match days is reigning in the camp. People on both sides of the pass have been waiting all year for this day - it's the final.

Lines of cars are lined up in both directions along the only road that crosses these isolated regions: Some of the participants have already packed their bags, and will hit the road as soon as the match is over to return to the warmth of their homes or the hardship of their labours.

The stadium is packed, and a cordon of menacing-looking police officers protects the pitch by waving batons. This in no way impressed the hordes of overexcited spectators who tease the police by throwing small stones at them as soon as their backs were turned, and who approached the pitch with every goal scored, taking advantage of the chaos.

The match is high-flying, the players are athletes who seem to glide on their sumptuous steeds, and the excitement seems to reach the heights surrounding the pitch.

Suddenly everything stops, the match is over, the pitch is invaded and the Chitral players are carried in triumph by the cheering crowd. The other part of the crowd rushes to their cars or motorbikes to hurry back home and avoid the huge traffic jams and the clouds of dust raised from the track.


I haven't told you about the beauty of the traditional dances, the majesty of the mountain pastures or the dignity of the old men.
I haven't told you about the bazaar that pulsates, the children who roam freely around the camp and the sparkle in the men's eyes, but I've done it on purpose.

I thought that, like this, it might make you want to come and see for yourself