Les chroniques du monde qui coule

Paris - Katmandou en autostop. Parti à la découverte du monde et des humains, je vous propose ici un témoignage pseudo-journalistique, à hauteur d'homme et de paysage.

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Par Les Chroniques du monde qui coule (Hippolyte)
24 août · 7 mn à lire
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đŸ‡«đŸ‡· - Un dĂźner chez les Pachtouns

🇬🇧 - A dinner with the Pashtuns

🇬🇧🇬🇧 - English version available - Just slide down - 🇬🇧🇬🇧

Tout le monde ne peut pas se vanter d’avoir des amis marchands d’armes, et c’est probablement tant mieux.
Lors de mes visites Ă  Dara Adam Khel (voir “Le marchĂ© d'armes”), j’ai crĂ©Ă© de forts liens d’amitiĂ©s avec deux frĂšres, Habib et Muheeb, qui ont hĂ©ritĂ© du magasin d’armes paternel. 
J’aurais prĂ©fĂ©rĂ© qu’ils vendent des fleurs mais ce n’est pas trop dans leur culture. Comme ils le disent eux mĂȘmes en rigolant, qu’est ce qu’il faut pour rendre un pachtoun heureux ? “Many sons and many guns !” 


Un autre proverbe local dit que le pachtoun est le meilleur des amis et le pire des ennemis. Je n’ai pour l’instant pu vĂ©rifier que la premiĂšre partie de cette maxime, et compte bien m’en arrĂȘter lĂ . Je peux nĂ©anmoins attester de sa vĂ©racitĂ©: Ă  chaque fois que je suis allĂ© Ă  Dara Adam Khel, mĂȘme Ă  l’improviste, j’ai Ă©tĂ© accueilli comme un roi. 

Les rendez-vous sont repoussés, mes amis hauts-placés quittent leur emploi en laissant tout en plan, et quand je pars il me demande de rester plus longtemps la prochaine fois. 
Il faut bien avouer que l’hospitalitĂ© des “pathans”, comme on dit ici, est lĂ©gendaire. C’est l’une des deux valeurs maĂźtresses de cette culture si fiĂšre. L’autre est la vengeance mais je n’en ai pas non plus fait l’expĂ©rience, Dieu merci. 


Quand on commence Ă  devenir vraiment ami avec des pachtouns, on peut commencer Ă  parler des sujets sensibles, voire Ă  les titiller un peu (cette cascade est accomplie par un professionnel, Ă  ne pas reproduire chez vous).
J’ai commencĂ© par m'intĂ©resser Ă  la question des armes, du fonctionnement tribal et de l’organisation de la sociĂ©tĂ© dans ces territoires que l'État pakistanais ne contrĂŽle pas.
J’en tirerai peut-ĂȘtre un autre texte, plus sĂ©rieux, car cette organisation ancestrale mĂ©rite qu’on s’y intĂ©resse.  

Ensuite, on monte un peu le curseur:
Est ce qu’ils connaissent des gens qu’ils considĂšrent comme extrĂ©mistes?  Quelle est leur rĂ©action quand je leur explique que j’ai assistĂ© Ă  des raves parties avec drogues & alcool dans leur pays, et que j’ai mĂȘme couchĂ© avec certaines de leurs concitoyennes ?

 

Les réponses sont mesurées et relativement tolérantes à mes yeux.
Les extrĂ©mistes ont pour la plupart Ă©tĂ© liquidĂ©s , mais ils m’avouent que je n’aurais pas pu venir me balader librement ici il y a une quinzaine d’annĂ©es, les terroristes du TTP Ă©taient bien trop prĂ©sents. 
Sur le reste, ils considĂšrent que chacun a le droit de faire ce que bon lui semble chez lui, et s’ils trouvent que ces comportements ne sont pas bĂ©nĂ©fiques puisqu’ils vont Ă  l’encontre des enseignements de l’Islam, ils ne sont pas contre tant que ces pratiques n’apparaissent pas dans le domaine public. 


Le crĂ©puscule est lĂ , les derniers rayons du soleil dĂ©coupent joliment les sommets des collines qui entourent le village. Mes amis m’emmĂšnent dĂźner dans un restaurant dont c’est l’inauguration. 
C’est l’évĂšnement et il y a beaucoup de monde, plusieurs centaines d’hommes habillĂ©s pareil mais dans des couleurs diffĂ©rentes. 
Ils se saluent à la mode pachtoun : on s’incline pour poser sa main au niveau du cƓur de l’autre avant de se redresser pour lui serrer la main. 
C’est l’une des plus belles maniùres de saluer que j’ai jamais vu. 


En attendant qu’on nous serve, j’attaque la derniĂšre salve de questions; les serveurs sont dĂ©bordĂ©s et ça m’arrange bien, car j’ai l’intention d’aller les chercher sur le sujet oĂč je sais que je ne pourrais pas les comprendre : la question des droits des femmes. 
J’attaque doucement en m’intĂ©ressant Ă  l’éducation des filles, et suis assez surpris d’apprendre qu’elles vont gĂ©nĂ©ralement Ă  l’école de 3 Ă  18 ans. Il y a mĂȘme des Ă©coles mixtes jusqu'Ă  11/12 ans, Ăąge Ă  partir duquel commence une sĂ©grĂ©gation plus importante (dĂ©but de la pubertĂ©). Une partie des jeunes locales vont mĂȘme Ă  l’universitĂ© du coin, oĂč dans la ville voisine de Peshawar.


Ensuite, il est temps de mettre les pieds dans le plat sans se les prendre dans le tapis. 
Je suis toujours entourĂ© de centaines de pachtouns pour qui la loi de l’Islam est indiscutable et sacrĂ©e, le blasphĂšme passible de peine de mort. 
Il ne faut pas non plus oublier que des drapeaux français ont été brûlés au Pakistan il y a un an ou deux, quand Macron avait publiquement défendu le droit  au blasphÚme des abrutis de Charlie Hebdo. 
Je suis nĂ©anmoins complĂštement serein car Ă©tant l’hĂŽte de membres de cette communautĂ©, ils prĂ©fĂ©reraient mourir que de laisser quelque chose m’arriver.  (LittĂ©ralement, on ne rigole pas avec l’hospitalitĂ© et l’honneur chez les pachtouns.)


Je rĂ©pĂšte que mes amis sont des gens bons et doux, intelligents et cultivĂ©s avec qui je prends beaucoup de plaisir Ă  discuter et Ă  passer du temps. Pourtant, quand je leur demande Ă  la cantonade si leurs femmes portent la burqa, c’est un 100% oui. 
Choc des cultures. 

Je vais essayer de rĂ©pĂ©ter ici la substance d’un dĂ©bat qui a durĂ© une trentaine de minutes au moins, en quelques lignes. 
Les serveurs Ă©taient vraiment dĂ©bordĂ©s par le monde et ils ont oubliĂ© notre commande deux fois, ce qui m’arrangeait toujours. 
Habib commence par m’expliquer ceci :

  • “Tu sais, ici nous sommes une sociĂ©tĂ© musulmane ultra-orthodoxe. Pour nous il n’y a qu’une seule loi et c’est celle de l’Islam. Hors, dans le Coran il est Ă©crit que les femmes doivent s’habiller “modestement”. 

  • “Oui , enfin Habib tu ne trouves pas que vous y allez un peu fort avec la modestie quand mĂȘme ? Des millions de femmes musulmanes portent uniquement le hijab, au Maghreb par exemple, ou mĂȘme le tchador et tout le monde considĂšre que ça suffit ! Vous c’est un peu too much quand mĂȘme.”

  • “Comme tu le sais il y a diffĂ©rentes interprĂ©tations du Coran, et elles sont souvent mĂ©langĂ©es avec les cultures locales.La burqa je crois que c’est principalement quelque chose de culturellement pachtoun. Je comprends que cela te choque parce que ta culture est diffĂ©rente, au mĂȘme titre que je suis choquĂ© quand tu me dĂ©cris Paris avec Ă  chaque coin de rue des bars et des terrasses oĂč l’on boit de l’alcool, ou bien les fĂȘtes oĂč tu vas avec des homosexuels qui s’adonnent Ă  des pĂȘchĂ©s au regard de tous. Nos cultures et nos systĂšmes de valeurs sont radicalement diffĂ©rents, et il est difficile de ne pas juger.”

  • “Mais enfin Habib, si ta fille dĂ©cide par exemple d’aller Ă  l’UniversitĂ© pour Ă©tudier, et qu’un jour elle rentre en te disant qu’elle ne veut plus porter le voile, tu ne vas quand mĂȘme pas la forcer? “

  • “Non, mais ce serait un Ă©chec de l’éducation que je lui ai donnĂ©. Je ne la forcerai pas, mais Ă  travers l’éducation que ma femme et moi lui donneront Insha Allah, elle comprendra qu’’elle est belle et prĂ©cieuse comme un diamant, et qu’il faut prĂ©server cette beautĂ© car je connais les hommes, en Ă©tant un moi-mĂȘme.”

  • “Non mais et si par exemple elle devient mĂ©decin ? Elle ne va quand mĂȘme pas soigner que des femmes ou opĂ©rer en portant sa burqa?”

  • “Non, dans ce cas lĂ  l’Islam permet qu’elle n’en porte pas, bien sĂ»r. MĂȘme si elle sera amenĂ©e Ă  travailler avec des hommes, l’Islam a une certaine souplesse sur les questions mĂ©dicales. Par exemple, il est permis de montrer ses parties intimes Ă  un docteur puisqu’on a pas le choix en cas de problĂšmes.”

C’est le moment que choisissent les serveurs (qui se font copieusement engueuler Ă  chaque fois qu’ils passent devant notre table) pour amener enfin un grand plat de riz et de viandes. Comme j’essaie de continuer Ă  dĂ©battre, un de mes voisins m’assĂšne “focus on the food”. Chez les Pachtouns tout le monde se sert dans le mĂȘme plat, avec les doigts, et on ne discute pas pendant qu’on mange.


AprÚs un dßner copieux, je quitte Dara Adam Khel sur ma moto locale merdique. 
Si notre désaccord reste profond, notre amitié le demeure aussi. 
Il est ridiculement difficile de s’affranchir complĂštement de ses propres prĂ©jugĂ©s, et de nos perspectives culturelles pour dĂ©battre objectivement de sujets aussi clivants.
Heureusement qu’on peut ĂȘtre amis par-dessus les cultures, les frontiĂšres et les dĂ©saccords. 
Alors que je me prĂ©pare Ă  franchir la frontiĂšre afghane, mes amis m’annoncent que je suis dans leurs priĂšres. C’est la premiĂšre fois qu’on prie pour moi dans deux religions diffĂ©rentes. 

Avec ça je ne vois pas ce qui peut m’arriver.

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Not everyone can boast of having friends who are arms dealers, and that's probably all for the best. 

During my visits to Dara Adam Khel (see "The gun market"), I developed strong friendships with two brothers, Habib and Muheeb, who inherited their father's gun shop. 

I would have preferred them to sell flowers, but that's not really in their culture. As they themselves joke, what does it take to make a Pashtun happy? "Many sons and many guns!" 


Another local proverb says that the Pashtun is the best of friends and the worst of enemies. So far I've only been able to verify the first part of this maxim, and intend to stop there. But I can attest to its truth: every time I've been to Dara Adam Khel, even unannounced, I've been welcomed like a king. 

Appointments are postponed, my high-ranking friends leave their jobs behind and when I leave they ask me to stay longer next time. 

It has to be said that the hospitality of the 'pathans', as they say here, is legendary. It is one of the two core values of this proud culture. The other is revenge, but I haven't experienced that either, thank God. 


When you start to become really good friends with Pashtuns, you can start to talk about sensitive subjects, and even tease them a bit (this stunt was carried out by a professional, so don't do it at home).


I began by looking at the question of weapons, tribal functioning and the organisation of society in these territories that the Pakistani state does not control.

I may come up with another, more serious piece, because this ancestral organisation deserves our attention.  

Then we move the cursor up a bit:

 Do they know people they consider to be extremists?  What's their reaction when I explain to them that I've been to rave parties with drugs and alcohol in their country, and that I've even slept with some of their fellow citizens?

 

The responses are measured and relatively tolerant in my view.

Most of the extremists have been liquidated, but they admit to me that I wouldn't have been able to walk around here freely fifteen years ago, the TTP terrorists were far too present. 

As for the rest, they believe that everyone has the right to do as they please in their own homes, and while they find that such behaviour is not beneficial because it goes against the teachings of Islam, they are not against it as long as these practices do not appear in the public domain.


It's dusk, and the last rays of sunlight cut a beautiful swathe through the hilltops surrounding the village. My friends are taking me to dinner at a restaurant that's opening its doors. 

It's a big event and there are lots of people there, several hundred men dressed alike but in different colours. 

They greet each other in the Pashtun way: you bow and put your hand on the other person's heart before straightening up to shake hands. 

It's one of the most beautiful ways of greeting I've ever seen. 


While I wait for the food to be served, I start the last round of questions; the waiters are swamped and that's just fine with me, because I intend to ask them about the subject I know I won't be able to understand: women's rights. 

I start slowly by looking at the education of girls, and am quite surprised to learn that they generally go to school from the age of 3 to 18. There are even co-educational schools up to the age of 11/12, at which point they start to become more segregated (at the onset of puberty). Some of the local girls even go to university in the local area, or in the neighbouring city of Peshawar.


Then it's time to jump in with both feet. 

I'm still surrounded by hundreds of Pashtuns for whom the law of Islam is indisputable and sacred, and blasphemy punishable by death. 

And don't forget that French flags were burnt in Pakistan a year or two ago, when Macron publicly defended the right to blasphemy of the Charlie Hebdo idiots. 

However, I am completely at peace knowing that, as a guest of members of this community, they would rather die than let anything happen to me ("Literally, hospitality and honour are no laughing matter among the Pashtuns").


I repeat that my friends are good and gentle, intelligent and cultured people with whom I take great pleasure in talking and spending time. However, when I ask them if their wives wear the burqa, the answer is 100% yes. 

Culture shock. 

I'm going to try to repeat here the substance of a debate that lasted at least thirty minutes, in a few lines. 

The waiters were really overloaded with people and they forgot our order twice, which was still fine with me. 

Habib starts by explaining this to me:


  • "You know, here we are an ultra-orthodox Muslim society. For us there is only one law and that's Islam. In the Koran it says that women should dress 'modestly'. 


  • "Yes, well, Habib, don't you think you're going a bit far with modesty? Millions of Muslim women wear nothing but the hijab, in North Africa for example, or even the chador, and everyone thinks that's enough! You're a bit too much here don't you think ? 


  • "As you know, there are different interpretations of the Koran, and they're often mixed up with local cultures.The burqa I think is mainly something culturally Pashtun. I understand that it shocks you because your culture is different, just as I'm shocked when you describe Paris with bars and terraces where people drink alcohol on every street corner, or the parties you go to with homosexuals who indulge in sins in full view of everyone. Our cultures and value systems are radically different, and it's hard not to judge."

  • "But come on, Habib, if your daughter decides, for example, to go to university to study, and one day she comes back and says she doesn't want to wear the veil any more, you're not going to force her? "


  • "No, but that would be a failure of the education I've given her. I won't force her, but through the education we will give her Insha Allah, we will explain to her that she is beautiful and precious like a diamond, and that this beauty must be preserved because I know men, being one myself."


  • "No, but what if, for example, she becomes a doctor? She's not going to treat only women or operate while wearing her burqa?"


  • "No, in that case Islam allows her not to wear one, of course. Even though she will have to work with men, Islam has a certain flexibility when it comes to medical issues. For example, it's permissible to show your private parts to a doctor, as you have no choice in the event of problems."



That's when the waiters (who get yelled at profusely every time they pass by our table) finally bring out a big plate of rice and meat. As I try to continue arguing, one of my neighbours says "focus on the food". Among the Pashtuns, everyone eats from the same plate, with fingers, and there's no chatting while you're eating.


After a copious dinner, I leave Dara Adam Khel on my shitty local motorbike. 

If our disagreement remains profound, so does our friendship. 

It's ridiculously difficult to completely free ourselves from our own preconceptions and cultural perspectives in order to debate such divisive issues objectively.

Fortunately, we can be friends across cultures, borders and disagreements. 

As I prepare to cross the border into Afghanistan, my friends tell me that I'm in their prayers. It's the first time I've been prayed for in two different religions. 


I’m pretty sure this double protection will do wonders.